Comment deux jeunes entrepreneurs ont pris les choses en main
Lander Van der Auwera et Nickolas De Beule rêvaient de porter une montre de fabrication suisse, mais les prix exorbitants rendaient ce rêve inaccessible pour eux. Il y a trois ans, ils ont décidé de fabriquer eux-mêmes une montre et ont créé la marque Parterra. Après une étude approfondie de l’industrie et la confection de plus de 50 prototypes, leur travail est à présent terminé et ils peuvent lancer sur le marché leur collection « ultimate all-terrain » via la plateforme de crowdfunding Kickstarter. Nous avons réuni le binôme pour un long entretien.
Pourquoi cette idée de développer vous-même une montre ?
Lander Van der Auwera : En 2020, nous étions tous deux étudiants à la KU Leuven quand le coronavirus a frappé brusquement et que nous avons eu nettement moins de cours. En une fois, nous nous sommes retrouvés avec beaucoup de temps et, étant tous deux très entreprenants par nature et passionnés par l’horlogerie suisse, nous voulions en faire quelque chose. C’est surtout le côté technique qui nous a attirés énormément. Nous avons donc pensé : pourquoi ne pas fabriquer des montres suisses de la même qualité, mais pour une fraction du prix, afin de les rendre plus abordables pour un public plus international ? Je me souviens, à ce moment-là, j’étais en troisième année de bachelor en sciences économiques appliquées et si je réussissais mon année, mon père me laisserait choisir une belle montre suisse entre 2000 et 3000 euros. Une fois que j’ai réussi, j’ai entamé les recherches, mais je ne trouvais pas mon style, un look sportif et une fabrication suisse. Pour ce prix-là, je ne pouvais pas repartir directement avec une montre, alors je me suis dit : pourquoi ne pas la créer moi-même, sans sacrifier la qualité et pour une fraction du prix ?
Pourquoi cette passion pour les montres suisses ?
Lander Van der Auwera : Les montres suisses sont connues pour leur précision, leur qualité et leur authenticité. Tous ces éléments nous parlent énormément. Nous avons donc voulu concevoir une montre au caractère durable, quelque chose qu’on puisse se transmettre de génération en génération. Et ces montres durent des décennies. Nous ne parlons pas ici d’une montre connectée, par exemple, qu’on peut pratiquement jeter au bout de 3-4 ans, ou d’une montre de faible qualité.
Nickolas De Beule : Cela ne nous procure pas le même sentiment et ce n’est pas authentique, la sensation est différente. Chez moi, la passion pour l’horlogerie est née quand j’ai reçu une montre en cadeau pour ma première communion. Je me souviens que j’ai passé toute la journée à la regarder tellement je la trouvais intéressante et agréable à regarder. Dans un certain sens, une montre m’inspire.
Lander Van der Auwera : Le marché est aujourd’hui inondé de montres classiques. L’horlogerie plus technique, avec un mécanisme ’see-through’ apparent, c’est le summum pour moi et c’est ce que nous voulions. Ce sont des montres que l’on peut regarder tous les jours et rester impressionné. Quand je regarde nos prototypes, la même pensée me vient à chaque fois : waouh ! Et cette sensation, c’était vraiment très important pour nous, de l’intégrer dans le design.
Le processus entier a pris trois ans. Quelles étapes avez-vous franchies durant cette période et quels ont été les principaux obstacles ?
Lander Van der Auwera : Le processus a été très long et nous avons fait nos armes pendant cette période. Nous sommes partis de rien et nous avons tout conçu, jusqu’à la moindre vis. Nous avons d’abord fait des dessins, puis nous sommes allés voir qui pourrait nous aider. C’est alors que nous sommes tombés sur le designer américain Stefan Brown. Il s’est spécialisé en microbrands, qui vendent moins de 60 000 pièces par an. Il a accompagné tout le processus avec les interactions nécessaires. Le processus était long, et c’est ce qui s’est avéré le plus gros défi.
Nickolas De Beule : Après avoir mis notre vision sur papier, le plus gros défi pour nous était de la transformer en prototype fonctionnel avec Stefan. Nous travaillons avec des matériaux difficiles et tout est très complexe. Un exercice difficile était également de trouver des partenaires avec lesquels collaborer, car tout le monde ne peut pas travailler avec des matériaux comme du titane de grade 5. Pour nous, il était très difficile de trouver ces personnes, de nouer les bonnes relations et de les convaincre en même temps que nous n’étions pas un feu de paille mais que nous voulions bâtir une relation à long terme et lancer sur le marché un produit auquel nous croyions.
À quel point était-il difficile de trouver les bons matériaux ? Et avez-vous ressenti la hausse des prix ?
Nickolas De Beule : Pour répondre à cette question, permettez-moi de dire quelques mots sur notre philosophie de design. Nous voulions surtout nous concentrer sur le côté aventure : la montre doit pouvoir être portée en toutes circonstances. C’est dans cet esprit que nous avons examiné quels matériaux s’y prêteraient le mieux. Il y avait énormément de matériaux possibles, comme l’acier ou le carbone, mais notre choix s’est finalement porté sur le titane. Pourquoi ? Ce matériau est super puissant et léger, et convient en toutes circonstances, par exemple quand on va gravir une montagne, sous la pluie ou dans un contexte professionnel.
Lander Van der Auwera : Nous avons opté pour le titane de grade 5, qui se compose à 90 % de titane et à 10 % d’autres matériaux comme l’aluminium et le vanadium. De plus, le prix de l’aluminium a quadruplé ces dernières années, ce qui ne nous a certainement pas été profitable. Mais pour nous, c’était une évidence de poursuivre avec ce matériau.
Nickolas De Beule : Quoi qu’il en soit, nous avons eu de la chance et n’avons pas eu à supporter toute la hausse des prix, car nous avions en réalité déjà négocié le prix et pourrions acheter à un prix fixé précédemment. Le fait que notre collection soit limitée a finalement joué à notre avantage et à celui du client, puisqu’il en profitera aussi.
Comment avez-vous pu financer ce développement, car nous parlons quand même de frais de démarrage importants ?
Lander Van der Auwera : Nous y avons investi nos vaillantes économies et, en résumé, nous avons fait tapis dans ce projet. Petit à petit, nous avons aussi impliqué nos parents. Je peux vous dire qu’il n’est pas facile de demander une grosse somme tout en disant qu’on va lancer sur le marché une montre de plus de mille euros : c’était un pitch très difficile à défendre auprès d’eux. Mais en fin de compte, nous en avons tiré beaucoup d’enseignements, car nous avons dû établir un très bon plan.
Nickolas De Beule : C’est aussi un peu une boule de neige qui a commencé petit. Mais au fur et à mesure que cette boule de neige se met à rouler, il faut suivre. Nous voici trois ans plus tard, et tout ce que nous avons est dedans, ce qui est évidemment très palpitant.
Comment se déroule le processus de production ? Quelle est la difficulté d’obtenir une montre fabriquée ?
Lander Van der Auwera : Nous avions en fait deux options pour mettre la montre sur le marché. Soit avec des renders ou des modèles 3D et avec des photos d’une montre. Soit en fabriquant effectivement le prototype et en en faisant un produit fonctionnel. Même si cette deuxième option est nettement plus chère, c’est finalement celle que nous avons choisie. Sur ces trois années, nous avons fabriqué plus de cinquante prototypes pour parvenir finalement au prototype fonctionnel sur lequel nous nous basons aujourd’hui. Il s’agit d’un processus complexe, pour lequel nous avons dû trouver et sélectionner les bons partenaires.
Pourquoi avoir choisi de maintenir le tirage limité et pourquoi précisément quatre modèles ?
Lander Van der Auwera : Rendre ce tirage limité lui donne un caractère exclusif. 250 pièces de chaque couleur sont produites et puis c’est tout : en d’autres termes, aucune pièce supplémentaire de cette collection n’est produite.
Nickolas De Beule : Le principal pour nous, c’est qu’un produit soit authentique et ne fasse pas le tour du monde. Nous ne croyons pas en cette production de masse. Nous voulons faire quelque chose qui soit vraiment de nous, derrière laquelle il y a une bonne histoire et que nous défendons à 100 %. Voilà précisément la raison pour laquelle nous maintenons le tirage limité. Mais il doit bien sûr être suffisamment important pour pouvoir réaliser la production et assurer une rentabilité financière. Et pourquoi seulement quatre modèles ? Ce n’était pas un choix délibéré. Au départ, nous avons simplement puisé de l’inspiration d’endroits évoquant l’aventure sur Terre. Et notre choix s’est finalement porté sur quatre endroits où nous avons pu trouver des couleurs qui nous convenaient, c’est ainsi que sont nés ces quatre modèles.
Pourquoi avoir décidé d’aller travailler dans le cadre de la vente en plusieurs étapes et avec des ambassadeurs ?
Lander Van der Auwera : Nous avons fait ce choix pour deux raisons principales. Premièrement, nous voulons créer une certaine exclusivité. Deuxièmement, nous nous efforçons d’impliquer personnellement dans le processus les personnes qui soutiennent notre campagne Kickstarter. Nous prenons le temps de les contacter, de recueillir leur feed-back et d’améliorer ainsi l’expérience globale de la marque. Cette approche progressive nous permet d’apporter des améliorations continues et, en fin de compte, de nous renforcer.
Nickolas De Beule : Le 7 novembre, nous avons lancé notre campagne Kickstarter. Quand vous débarquez sur le marché avec une nouvelle marque, les gens ne vous connaissent pas dès le premier jour. C’est pourquoi nous avons voulu créer un buzz, et Kickstarter nous offre l’occasion idéale pour ce faire. Par ailleurs, un financement est évidemment nécessaire pour pouvoir acheter et lancer sur le marché la collection complète.
Avez-vous déjà reçu des réactions de la part du marché ?
Lander Van der Auwera : Les premières réactions sont très positives. Les personnes intéressées ont d’abord pu voir les montres sur photo et sur des renders, et beaucoup étaient déjà convaincues. Mais quand les clients ont effectivement eu la montre entre les mains, une dimension supplémentaire est venue s’ajouter. Et c’était très agréable de voir les réactions positives.
Nickolas De Beule : Il y a quelques mois, nous avons soumis nos quatre modèles à quelques bijoutiers et amateurs de montres, et leur avons demandé leurs impressions. Pour nous, c’était un super moment parce que nous n’avions aucune idée de ce qu’ils en penseraient. Leur feed-back positif était inspirant et motivant.
Le marché de l’horlogerie n’est-il pas très concurrentiel et ne souffre-t-on pas d’une surabondance de montres de luxe ?
Lander Van der Auwera : Certes, le marché de l’horlogerie est très compétitif en ce moment. De nombreuses marques de luxe comme Tudor et Rolex dominent actuellement le marché. Mais nous voyons certainement des opportunités et de la marge pour les projets à plus petite échelle et plus authentiques, comme Parterra. Concrètement, nous nous différencions des grands acteurs par le prix, l’utilisation de matériaux de qualité et notre tirage limité. Si vous regardez les vraies marques de luxe comme Audemars Piguet Royal Oak, une montre qui reflète notre style sportif, il faut vite compter au minimum 40 000 euros. Nous nous situons au même niveau de qualité, mais pour un dixième du prix.
Nickolas De Beule : Beaucoup de gens me demandent comment il peut y avoir une telle différence de prix ? Notre marge est tout simplement beaucoup plus petite parce que nous ne sommes pas une marque connue. Notre objectif n’est pas non plus de faire un maximum de bénéfices. Nous voulons tout simplement réaliser notre rêve en lançant une montre sur le marché. Pour moi, ce serait génial de monter demain dans un train quelque part dans le monde et de croiser quelqu’un portant une montre Parterra au poignet. De toute façon, cela arrivera un jour, car il y en aura tout de même un millier en circulation.
Y a-t-il beaucoup d’initiatives à petite échelle comme la vôtre ou est-ce plutôt exceptionnel ?
Lander Van der Auwera : Sur le marché belge, c’est plutôt limité. Il y a par exemple Ressence, une marque qui se concentre sur l’innovation et qui a construit ses propres mécanismes, même avec de l’huile. Ce groupe est actif depuis 2010 et est sur le marché depuis assez longtemps. Il y a Raidillon, qui se concentre plus sur le style classique.
Nickolas De Beule : Il existe de nombreux projets de montres à l’échelle internationale, mais souvent dans une gamme de prix inférieure et de moins bonne qualité. Je peux compter sur les doigts d’une main les campagnes Kickstarter qui sont dans notre gamme de prix et qui veulent réaliser la même chose.
Et pourquoi avoir choisi la plateforme Kickstarter ? Y a-t-il une raison particulière à cela ?
Nickolas De Beule : Pour deux raisons. La principale est en fait que nous voulons nous connecter avec les gens et recevoir leur feed-back, pour pouvoir nous améliorer. C’est tout à fait possible avec Kickstarter. Et de cette manière, nous créons aussi tout simplement une communauté autour de la marque. Par ailleurs, il est évidemment important aussi de recevoir une possibilité de financement. Et en tant qu’entrepreneur qui débute, il faut suffisamment de capital pour pouvoir créer notre premier badge de production. Kickstarter nous permet tout simplement de lever ces fonds et d’attirer des backers individuels qui croient en notre projet.
Avez-vous déjà d’autres projets une fois cette campagne terminée ?
Lander Van der Auwera : Nous sommes très motivés et surtout passionnés pour poursuivre sur la voie nous sommes engagés. La sensation que quelqu’un porte notre montre ou notre création est indescriptible. En fait, on peut comparer cela à peu de choses et c’est au fond la raison pour laquelle nous avons fait ce choix. Par ailleurs, le succès de Kickstarter sera essentiel, car il déterminera le stock que nous pourrons acheter et la position de départ que nous aurons vis-à-vis de nouveaux investisseurs. Et enfin, cela déterminera le rythme auquel nous pourrons évoluer. Notre objectif est de pouvoir présenter notre collection d’ici cinq ans à Genève au salon des salons : « Watch & Wonders »
et nous nous donnons à fond.
Nickolas De Beule : Je pense qu’il est important pour nous de garder les mêmes valeurs. Nous allons toujours nous concentrer sur la qualité suisse, mais nous reverrons chaque fois entièrement le design. Lander et moi débordons d’idées et nous espérons pouvoir les présenter au monde grâce au succès de Parterra.